HISTOIRE D'AIMER
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 JE NE VOUS APPRENDS RIEN

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Michèle Schibeny
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Michèle Schibeny


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MessageSujet: JE NE VOUS APPRENDS RIEN   JE NE VOUS APPRENDS RIEN Icon_minitimeLun 30 Jan - 20:02





JE NE VOUS APPRENDS RIEN Je_ne_10








Je ne vous apprends rien









Parler peu mais parler bien.
Tel était le mot d'ordre de mon père. Et sans doute pour cette raison, nous ne l'entendions jamais. Mais il souriait beaucoup. Il y avait quelque chose de béat en lui. Quelque chose de discret, de lointain et de secret. Quelque chose de beau qui transcendait tout. Quelque chose de rare. Sans doute cette assurance et cette puissance que donne le fait d'aimer et de se savoir aimé. Mais peut-être pas seulement.


Il n'en allait pas de même pour moi. Boute en train professionnelle, extravertie cela va sans dire, active à l'excès, toujours dopée d'un projet ou d'un rêve d'avance, usant de la communication et de la franchise comme de mes outils préférés. Le « parler peu » n'était pas mon fort. Je mettais l'ambiance à table et le rire au menu, même pour les dîners quotidiens en famille, et je soutenais, parce que je le pensais sincèrement, et le pense toujours aussi fort d'ailleurs, qu'il vaut mieux dire que retenir, pour souffrir de n'avoir pas dit. Ce qui est fort exigeant vous en conviendrez. Beaucoup de femmes pensent ainsi. Tandis que les hommes préfèrent penser et faire tout le contraire comme s'ils avaient surdéveloppé leur résistance au mal être. Moi je me faisais une philosophie de dire et de faire dire, pour le bien de tout un chacun.


Si souvent j'ai pu le remarquer, il est tellement plus facile de se taire que de rentrer dans toute une explication complexe, à recommencer plusieurs fois à certaines occasions pour se faire tout à fait comprendre, comme il est arrangeant de laisser l'autre dire des inepties, ou des contre vérités avérées, rien que pour éviter la confrontation avec une personnalité, une histoire, des contradictions, un traumatisme, une blessure non guérie. Je ne vous apprends rien. Combien même il est amusant de voir des personnes se tromper totalement sur nous en toute bonne foi  en étant absolument sûr d'elles. Et de les voir réitérer leurs erreurs année après année alors même qu'on a tenté plusieurs fois d'expliquer. Certains ne veulent pas savoir. D'autres ne veulent pas entendre. Beaucoup n'envisagent même pas un autre point de vue que le leur. Tant d'entre eux ont peur. Peur d'avoir tort, peur de l'inconnu, peur de se remettre en question, peur de comprendre. Peur. Tout simplement peur. Sans pouvoir mettre un nom sur cette peur. Peut-être qu'un jour, moi aussi, comme tant de gens que nous croisons tous les jours, je ne voudrais plus m'expliquer ou m'interroger. Quand la peur m'aura gagnée. Quand je préfèrerai l'ombre à la lumière.


Martin n'avait pas eu le choix. Ses peurs, on lui demandait d'en parler tous les jours. Sinon, une armada d'infirmières, de gros bras, et de psy en tous genres le prenaient, le soulevaient de terre, et l'enfermaient dans sa chambre capitonnée avec une bonne piqûre pour toute conversation. Lui, devait jouer le jeu de la communication, mais en face de lui, personne pour lui répondre. C'était angoissant. Il devait se faire les questions et les réponses comme on dit. Or il n'avait ni les unes, ni les autres. Alors il criait. Il criait beaucoup. Il s'en rendait bien compte mais c'est tout ce qu'il arrivait à sortir de lui : des hurlements. Il était conscient de chacun de ses hurlements. Il savait même l'effet que cela produisait sur les autres. Parfois il se délectait de les déstabiliser tous à ce point-là. Et même s'il savait que ça n'avançait à rien de crier comme ça, il en jouissait de ces longs cris de bête qui le traversaient de part en part même s'ils le laissaient tout interdit, assommé, déglingué. En général cela commençait tout doucement. Il se balançait de tout son corps, d'avant en arrière, comme s'il cherchait à attraper un rythme, un train qui passe, un oiseau qui s'envole. Il cherchait son élan. Il n'avait aucune idée de ce qui le poussait à agir de la sorte, mais à un moment donné, c'était plus fort que lui, ça le prenait de plus en plus fort et il ne pouvait s'y soustraire. C'est comme s'il avait besoin de subir l’énigme qu'il était pour lui-même. Parfois il avait l'impression qu'à force de se balancer ainsi, des mots prenaient tout doucement naissance dans son ventre, s'amplifiaient dans sa cage thoracique, le long de ses cordes vocales, et qu'enfin sur ses lèvres, ils étaient sur le point de trouver leur résonance, leur nom, leur consistance. Cela finirait par venir, comme des bulles à la surface de l'eau. Il forçait, il s'acharnait, il se concentrait, il insistait, de plus en plus, et de en plus en plus, pour les faire émerger ces mots, les accoucher purement et simplement. Il le voulait. Chaque jour il le voulait un peu plus. Et puis, voilà, quand il croyait qu'enfin ils seraient là, au rendez-vous, prêts à être reconnus et donnés, c'est un cri éperdu qui sortait. Il en était totalement défait de voir ses espoirs anéantis après tant d'efforts. Alors il se laissait aller à crier encore plus fort et plus longtemps. Des fois que... ça viendrait encore. Mais c'est juste l'infirmier qui venait.


Le lundi matin, il avait rendez-vous avec le Docteur Mathis, son psychiatre attitré. Fallait qu'il lui raconte quelque chose. Tout le temps il lui demandait la même chose : « Alors Martin comment ça va aujourd’hui ? » qu'il lui disait, plein de sympathie et d'espoir en le regardant comme s'il était sur qu'il allait trouver quelque chose à lui dire. Mais c'était pas si simple ! D'ailleurs le Docteur Mathis ne lui racontait rien non plus. Martin aurait parié, en secret, dans sa tête bien sur, qu'il n'y serait pas plus arrivé que lui s'il avait été à sa place. Oui, parce que dans sa tête tout était clair. Il entretenait de grandes discussions avec ses principaux amis et ennemis : les mots... Dans sa tête. Avec les mots mais aussi avec les idées, et surtout, les souvenirs, qui bougeaient, s'entrechoquaient, s'esclaffaient, se racontaient, essayaient de le divertir ou bien de lui faire perdre ou revenir à la raison. Ah ! Tout n'était pas joli-joli, mais cela semblait assez clair parfois, dans sa tête. Sauf que, sa mère et son père lui avaient toujours dit : « Réfléchis donc avant de parler Martin ! ». Pourquoi ? Il était plus facile pour lui, à l'époque, de dire plutôt que de réfléchir. Ça s'embrouillait souvent dans sa tête, pour des « oui » et pour des « non ». Bon ! Maintenant c'était tout le contraire, c'est vrai. Mais au moins papa et maman étaient satisfaits il en était persuadé. Papa et maman n'étaient plus de ce monde depuis le fameux soir où il avait crié trop fort, mais ils n'étaient pas si loin de lui non plus. Il les sentait qui prenaient soin de lui, qui demandaient de ses nouvelles, qui s'inquiétaient de ne pas le voir rentrer à la maison depuis toutes ces années. Quelle maison ? Martin ne voulait pas réellement savoir ce qui s'était passé. Mais il préférait se taire désormais. Enfin, il y était arrivé plusieurs années. Mais le Docteur n'arrêtait pas de lui demander le contraire. Pourquoi donc ? Qu'est-ce que ça changeait ? Qu'est-ce que ça changerait ? Il ne le savait pas. Mais il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour lui faire plaisir, parce que jamais le Docteur ne s'était mis en colère contre lui.


Devant le Docteur Mathis, Martin commença à se balancer, gêné de devoir en passer par là pour obéir à son psy. Sans le regarder, tête baissée, nuque raide, coudes lourdement appuyés sur les accoudoirs du fauteuil en bois, ongles enfoncés dans ses cuisses, Martin, essaya de toutes ses forces de dire quelque chose. Il essaya encore et encore. Pendant plus de trente minutes il essaya. Ses yeux roulaient dans tous les sens, sa tête dodelinait comme si elle ne voulait ou ne pouvait plus se porter seule. Subitement, au lieu d'avoir envie de crier, cela lui prit d'un coup, il eut envie de dire : « ça va... ». Ce « ça va » sortit d'un coup, sec et fort à la fois. Pour la première fois depuis cinq ans. Ca allait ! Et le Docteur Mathis s'en réjouit suffisamment pour le faire raccompagner dans sa chambre avec un grand sourire mais sans commentaire, et une tape amicale dans le dos pour la première fois. Dans une semaine il faudrait renouveler l'exploit, et Martin ne savait pas s'il y arriverait encore. La peur le prit. Toujours plus cruelle et intense.


De retour dans sa chambre, Martin réessaya. Entendre quelque chose sortir de sa gorge dans le cabinet du Docteur lui avait fait du bien. Il se croyait devenu muet, et voilà qu'il pouvait parler. Il n'avait pas reconnu sa voix, mais elle lui paraissait bien. Il se posait cependant une question d'importance : allait-il vraiment aussi bien qu'il l'avait dit au Docteur ? Cela l'avait surpris. Pendant toutes ces années, il s'était senti au fond d'un gouffre, dans le noir et la solitude absolus, au milieu de ses terreurs et de ses démons qui faisaient tout ce qu'ils voulaient de lui, et surtout contre lui. Comment pouvait-il avoir dit "ça va" ? L'effort surhumain consenti pour sortir deux mots prouvait tout au contraire que ça n'allait pas du tout. "J'ai peur !" dit-il à voix haute soudain. Les mots retentirent dangereusement dans sa chambre d'hôpital, se cognèrent contre les quatre murs qui n'avaient plus vu un pinceau depuis des décennies, grincèrent sur les vitres de la fenêtre, écorchèrent la porte fermée à double tour, et lui revinrent en pleine figure, comme une giffle monumentale qu'il n'attendait pas. Il en tomba à la renverse tandis qu'il perdait connaissance.


Personne, ni à l'intérieur de la cellule de Martin, ni à l'extérieur dans le couloir de l'immense hôpital psychiatrique, n'avait entendu les mots de Martin. Personne ne l'entendit s'affaisser à terre. Personne n'entendit sa tête heurter lourdement le carrelage de la chambre. Il n'avait dit que quatre mots en cinq ans, mais personne n'avait trouvé cela extraordinaire ou ne lui avait dit que c'était miraculeux.


Au même instant, le Docteur Mathis avait retranscrit toute la séance avec Martin dans son dossier personnel. Au moment où il écrivit le "ça va" de Martin, il fut pris d'une énorme douleur dans la poitrine qui l'empêcha de pousser le moindre cri pour alerter le personnel médical de l'hôpital, et il s'affaissa sur ses notes encore fraîches et l'énorme victoire qu'avaient été les mots de son patient. Il en avait été touché au plus profond de lui-même, car il y avait si peu de victoires dans son métier. Si peu qu'il avait failli démissionner maintes fois. Mais il ne pouvait pas le lui dire. Il fallait qu'il fasse comme si tout était normal, pour ne pas qu'il régresse d'un coup ou prenne peur de cet exploit tout frais. Faire comme si de rien était pour qu'il puisse continuer sur sa lancée le lundi suivant. C'était si courant dans son métier et dans la vie de tous les jours de faire "comme si de rien était" ! Je ne vous apprends rien...


Quelques heures plus tard tout l'hôpital fut en émoi. On trouva presque en même temps Martin mort dans sa chambre, et le Docteur Mathis, mort à sa table de travail couché sur le dossier de Martin. Le personnel courait en tous sens. Les infirmières, la voix suraigüe piaillaient à tout va d'émotion, de tristesse, de confusion et de déception. A qui mieux mieux on imaginait la scène, on se racontait l'affaire, on s'impliquait, se culpabilisait, se tamponait furtivement les yeux de regret. Les gros bras grinçaient des dents, rageaient sans mot, serraient les poings de colère et d'incompréhension. La peur les accompagnait tous et chacun dans leurs retranchements. Avec ou sans mot. Mais il était trop tard et tout le monde le savait.


De retour chez elle, ce soir là, Mathilde raconta l'histoire à son époux, comme pour s'en débarasser, tellement cela pesait lourd sur son coeur de soignante. Il écouta d'une oreille distraite, absorbé à regarder le journal télévisé sur la une. Il voyait les images, entendait les commentaires, saisissait les sentiments sur les visages des gens interwievés, mais il ne ressentait rien de leur désarroi, de leurs inquiétudes, de leurs attentes. Pas plus que le désarroi de sa femme qui rentrait si tardivement du travail tous les jours.


Lui, il avait passé sa journée dans son jardin, à rempoter des arbustes dans son coin. Il avait préféré ne penser à rien, comme chaque jour, car la terre le terrifiait depuis de nombreuses années. Il en rêvait la nuit ! Pas la peine de raconter cela à qui que ce soit. C'était absurde. Cette masse gluante, lourde, foncée, aux senteurs fortes, nauséabondes parfois. C'était comme un appel insistant d'En-Bas. Un cri terrible et  assourdissant. Une porte entrebaillée. Sur la peur. Quels mots pouvaient bien rivaliser avec cela ? Quelle Vérité pouvait bien faire taire et confondre le souffle glacé de l'ignorance ?


Des années durant, mon père avait souri à l'inéffable et l'inéluctable. Il avait amadoué et apprivoisé la vie et la mort, les mots et les silences, les rires et les évidences, le possible et l'impossible, le connu et l'imprévisible. Le su et l'appris. L'ego et le don de soi. L'Amour et l'Amitié. L'insouciance et la sollicitude. A sa façon.
Peu ou prou, mais intensément, sagement, personnellement, sans peur.


Comme on n'apprend rien quand tout est donné d'avance.









© Michèle Schibeny


















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