Michèle Schibeny Admin
Nombre de messages : 5494 Age : 63 Localisation : LES MAZURES Emploi/loisirs : Poète, Photo-Infographiste, Peintre Humeur : artistique ! Date d'inscription : 30/09/2008
| Sujet: QUELQUES PAGES DE BAUDELAIRE Dim 14 Déc - 22:00 | |
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Châtiment de l'orgueil
En ces temps merveilleux où la théologie Fleurit avec le plus de sève et d'énergie, On raconte qu'un jour un docteur des plus grands, Après avoir forcé les cœurs indifférents ; Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ; - Après avoir franchi vers les célestes gloires Des chemins singuliers à lui-même inconnus, Où les purs esprits seuls peut-être étaient venus, - Comme un homme monté trop haut, pris de panique, S'écria, transporté d'un orgueil satanique : " Jésus, petit Jésus ! Je t'ai poussé bien haut ! Mais, si j'avais voulu t'attaquer au défaut De l'armure, ta honte égalerait ta gloire, Et tu ne serais plus qu'un fœtus dérisoire ! " Immédiatement sa raison s'en alla. L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila ; Tout le chaos roula dans cette intelligence, Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence, Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. Le silence et la nuit s'installèrent en lui, Comme dans un caveau dont la clef est perdue. Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue, Et, quand il s'en allait sans rien voir, à travers Les champs, sans distinguer les étés des hivers, Sale inutile et laid comme une chose usée, Il faisait des enfants la joie et la risée.
L'Homme et la Mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer! La mer est ton miroir, tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au sein de ton image; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets; Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes; O mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remords, Tellement vous aimez le carnage et la mort, O lutteurs éternels, O frères implacables!
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L'Ennemi
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage Traverse ça et là par de brillants soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
- O douleur! o douleur! Le temps mange la vie. Et l'obscur ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croit et se fortifie!
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté Dont le regard m'a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
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A celle qui est trop gaie
Ta tête, ton geste, ton air Sont beaux comme un beau paysage ; Le rire joue en ton visage Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles Est ébloui par la santé Qui jaillit comme une clarté De tes bras et de tes épaules.
Les retentissantes couleurs Dont tu parsèmes tes toilettes Jettent dans l'esprit des poètes L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'emblème De ton esprit bariolé ; Folle dont je suis affolé, Je te hais autant que je t'aime !
Quelquefois dans un beau jardin Où je traînais mon atonie, J'ai senti, comme une ironie, Le soleil déchirer mon sein ;
Et le printemps et la verdure Ont tant humilié mon cœur, Que j'ai puni sur une fleur L'insolence de la Nature.
Ainsi je voudrais, une nuit, Quand l'heure des voluptés sonne, Vers les trésors de ta personne, Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonné, Et faire à ton flanc étonné Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur ! A travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles, T'infuser mon venin, ma sœur !
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Le Guignon
Pour soulever un poids si lourd, Sisyphe, il faudrait ton courage! Bien qu'on ait du cœur à l'ouvrage, L'Art est long et le Temps est court.
Loin des sépultures célèbres, Vers un cimetière isolé, Mon cœur, comme un tambour voilé, Va battant des marches funèbres.
- Maint joyau dort enseveli Dans les ténèbres et l'oubli, Bien loin des pioches et des sondes;
Mainte fleur épanche à regret Son parfum doux comme un secret Dans les solitudes profondes.
Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne
Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, Ô vase de tristesse, ô grande taciturne, Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis, Et que tu me parais, ornement de mes nuits, Plus ironiquement accumuler les lieues Qui séparent mes bras des immensités bleues.
Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts, Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux, Et je chéris, ô bête implacable et cruelle ! Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle !
Tristesses de la lune
Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ; Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins, Qui d'une main distraite et légère caresse Avant de s'endormir le contour de ses seins, Sur le dos satiné des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons, Et promène ses yeux sur les visions blanches Qui montent dans l'azur comme des floraisons. Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive, Elle laisse filer une larme furtive, Un poète pieux, ennemi du sommeil, Dans le creux de sa main prend cette larme pâle, Aux reflets irisés comme un fragment d'opale, Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.
LA GÉANTE
Du temps que la Nature en sa verve puissante Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante, Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.
J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandir librement dans ses terribles jeux, Deviner si son cœur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux;
Parcourir à loisir ses magnifiques formes, Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s'étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins, Comme un hameau tranquille au pied d'une montagne.
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La chevelure
O toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure Des souvenirs dormants dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d'autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! Nage sur ton parfum. J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève ! Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire ? grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse ! Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m'enivre ardemment des senteurs confondues De l'huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! Toujours ! Ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
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